4 Mai 2013
Bonjour à toutes et à tous,
Je vais vous relater un épisode de ce que j'ai vécu en stage. Je comptais présenter ce travail au module 5. Malheureusement, je me suis fait virer de ma formation à deux mois de la fin, parce que je n'ai pas accepté les humiliations, l'hypocrisie et l'omerta qui sont de rigueur dans la plupart des services.
Bien entendu, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Bien sûr, j'ai rencontré aussi des professionnels remarquables d'abnégation et de bienveillance. Mais ils ne sont pas les plus nombreux. Aujourd'hui, j'ai envie de vider mon sac. J'espère que vous serez nombreux et nombreuses à me lire et que ceux et celles qui ont envie de se lancer dans une formation d'AS ou d'IDE, sachent à quoi ils peuvent s'attendre, quand ça se passe mal en stage.
La situation se déroule lors de mon deuxième stage et c’est ma troisième journée dans la structure, qui est un EHPAD, établissement privé d’une capacité d’accueil de 55 chambres. Les bâtiments s’agencent en plusieurs secteurs, où les résidents sont répartis selon leur degré d’autonomie, de GIR6 à GIR1.
Dès le premier jour, je suis affectée à l’aile réservée aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démences séniles, tous en GIR1 et qui ont besoin d’assistance pour se mobiliser, se nourrir, se laver, s’habiller. Privés d’autonomie, ils sont tributaires d’une aide extérieure pour tous les gestes de la vie, ce qui implique de nombreux soins, dispensés par des professionnels expérimentés et en nombre.
Le premier jour, après de sommaires présentations, l’IDE qui fait office de cadre, me confie aux bons soins de N., AMP, afin d’assurer mon tutorat. Ainsi, deux jours durant, de 8h00 à 20h00, j’ai suivi N. dans ses tâches quotidiennes. J’ai beaucoup observé, écouté et tâché de me rendre utile autant que possible. C’est au cours de ces deux jours d’observation que j’ai pu mesurer la charge de travail. Du matin au soir, une course contre la montre.
A l’issue du deuxième jour, ma tutrice me demande si j’ai repéré deux personnes que je pourrais prendre en soin et d’un commun accord, nous convenons de deux patientes dont je m’occuperai seule dès le lendemain, troisième jour de stage.
Mes patientes, toutes deux âgées de près de 90 ans, ne souffrent pas de la même pathologie. L’une est atteinte de la maladie d’Alzheimer alors que la seconde semble souffrir d’avantage de dépression, liée à son mauvais état de santé général qui l’affecte considérablement. Ancienne commerçante, Mme M. était une femme indépendante et très active. Le décès de son mari a bouleversé son existence sur tous les plans. Mais à chaque fois que j’essaye d’en savoir plus, on me répond : « Tu es trop curieuse »… « A quoi ça te sert de savoir tout ça ? ».
Même le médecin-psychiatre à qui j’ai posé les mêmes questions, m’a renvoyée au ‘secret professionnel’. Manifestement, l’établissement est très attaché à la confidentialité de ses dossiers, auxquels je n’ai aucun accès.
Le jour J, comme les deux précédents, je prends mon service à 8h00. La veille, N. m’a exposé succinctement le déroulement de cette journée. Comme prévu, je monte à l’étage avec mon chariot. N. m’attend. Je me dirige vers la chambre de la personne que je suis censée prendre en soin et là, elle me lance, d’une voix forte qui résonne dans le couloir :
« Nan, pas Mme M. C’est Mme T. que tu vas faire » en contradiction totale avec ce qui avait été convenu la veille.
Sans dire un mot, je prends sur moi, malgré l’énorme déception. En effet, j’étais plutôt enthousiaste de m’occuper de Mme M., qui bien que très amoindrie physiquement, a gardé sa vivacité d’esprit et les quelques fois où nous avons pu nous entretenir, nous nous sommes très bien entendues. Car Mme M. a beaucoup d’humour et malgré la maladie et les souffrances, nos échanges étaient très complices, laissant présager une prise en soins agréable, en dépit des nombreuses contraintes liées à la maladie.
Je demande à N. la raison de ce changement de dernière minute. Dans un premier temps, elle penche légèrement la tête sur le côté, me dévisage avec un grand sourire narquois sans me répondre. Puis, quand elle le juge opportun, elle me répond, laconique : « C’est comme ça ».
A ce moment précis, je prends toute la mesure de la situation. Au lieu de faire preuve de bienveillance à l’égard de l’élève que je suis, ma tutrice semble vouloir s’amuser à mes dépens. C’est assez souvent qu’elle me l’a répété, détachant soigneusement chaque syllabe, le regard insistant : « n’oublies pas que tu es stagiaire… »
Arrivées devant la porte de la résidente, N. me rappelle une dernière fois que c’est à moi de jouer. J’entre, précédée de mon chariot. Première invective :
- « Tu fais quoi, là ? »
- « Eh ben, euh »
- « Le chariot, tu le laisses dehors ! »
??? « Mais… euh… Il me semble que j’ai le droit d’emmener mon chariot, on n’est pas en milieu septique… »
- « Dehors, le chariot ! tu prends juste ce qu’il te faut. Lavettes, produit, gants et tu désinfectes l’environnement direct de la personne ! »
??? Bon. (je ne vais pas la contrarier, mais je trouve que c’est du grand n’importe quoi…)
- « Tu commences par la salle de bains ! »
Je ne dis toujours rien, en dépit de l’envie qui me presse, de lui donner mon avis. Cependant, il me semble important de tenir compte de la présence de la résidente et avant toute autre chose, je m’approche de son lit pour lui dire bonjour. Je lui parle gentiment, calmement. Elle en profite pour me caresser le bras, doucement. Elle a besoin d’être rassurée, cette dame. Je l’ai vue à plusieurs reprises, prise en soins et je sais que, malgré une démence très prononcée, elle apprécie la douceur et la réclame souvent. N. est agacée et me redemande, de sa voix tonitruante, de désinfecter la salle de bains. Je m’exécute en ravalant mes appréciations.
A ce stade, je décide de faire tout ce qu’elle veut, tant que mon tempérament me le permettra, même si je suis convaincue de l’absurdité de ses requêtes. Moi qui me faisais une joie de travailler en EHPAD... Enfin j’allais avoir la possibilité d’apprendre et mettre en pratique tous les gestes de soins adaptés à la personne âgée…
Une fois la salle de bains désinfectée, je change de lavette et j’entreprends la désinfection de l’adaptable et de la petite table à côté du lit. A cet instant, la résidente est toujours dans son lit, manifestement souillée (si je me fie à l’odeur) et impatiente d’être prise en soins. Au moment où je m’approche du lit pour désinfecter les barrières de sécurité, N. m’arrête dans mon élan.
- « Nan, c’est pas la peine ! »
- « Euh… Excuse-moi N. Si je suis censée désinfecter l’environnement direct de la personne, alors il me semble que les barrières de sécurité, plus près que ça, y’a pas ! »
- « Mais j’en ai marre à la fin !!! Puisque je te dis que c’est pas la peine !!! Tu commences vraiment à me faire chier, toi !!! Je me demande vraiment pourquoi je m’emmerde à essayer de t’apprendre quelque chose, tu comprends rien !!! Et puis merde !!! T’as qu’à te trouver quelqu’un d’autre. Moi j’me casse !!! »
Sur ce, elle tourne les talons et s’éloigne comme une fusée, laissant derrière elle une traînée de jurons et de menaces, dont : « Je vais lui casser la gueule !!! ». Ses cris hystériques ont alerté l’IDE qui ne tarde pas à se manifester, me demandant ce qui s’est passé. Encore sous le choc, les mots me manquent et je suis bien incapable d’expliquer quoi que ce soit, tant la situation m’apparaît absurde et incongrue. Je suis comme assommée et je n’ai plus qu’une envie : passer à autre chose, le plus vite possible.
Après avoir cherché en vain quelqu’un qui serait en mesure de lui fournir des explications, l’IDE me demande finalement de la suivre dans le poste de soins, de m’asseoir et d’attendre. Après un court moment elle revient, me priant de prendre mes affaires et de quitter l’établissement. « Votre stage s’arrête là. Mme B. (Directrice de l'IFSI) vous attend ». Je lui ai demandé si je pouvais utiliser le téléphone pour appeler l’école, elle m’a répondu que non. J’ai appelé Mme B. de mon portable pour confirmer mon départ de l’établissement et je me suis rendue directement à l’IFSI.
Une fois à l’extérieur, j’ai aspiré goulûment une grosse bouffée d’air, comme si je venais de sortir la tête de l’eau après une trop longue apnée. Un peu titubante, quelque peu désorientée, submergée par une foule d’émotions, j’ai remis un peu d’ordre dans mon esprit où s’entremêlaient colère, indignation, soulagement et surtout, une immense incompréhension. En réalité, cet épisode m’a profondément marquée, choquée, quasiment traumatisée et pour longtemps. J’ai même envisagé d’arrêter là ma formation, tellement j’étais perturbée. Je me suis sentie humiliée, dénigrée, injustement sanctionnée, confrontée à la bêtise, la médiocrité et la méchanceté, là où j’attendais tout le contraire.
C’était mon deuxième stage et j’en attendais beaucoup. Trop, peut-être. D’une part, j’avais une représentation très personnelle de la fonction de soignant en EHPAD, alors que j’ignorais tout de la réalité du terrain et d’autre part, l’établissement concerné était particulièrement éloigné de l’image d’Epinal. Dès le premier jour, je me suis sentie très mal à l’aise et la prise en charge des personnes hébergées m’a parue brutale et inhumaine, aux antipodes de ce que j’attendais.
A mon sens, un tuteur est investi d’une mission et non des moindres : celle de transmettre le flambeau aux nouveaux venus, dans la perspective de leur permettre de devenir à leur tour, des soignants responsables et compétents, respectueux d’eux-mêmes et des patients qui leur sont confiés. Si les soignants sont incapables de se respecter entre eux, comment pourraient-ils se comporter de façon adéquate avec les personnes prises en soins, que leur dépendance rend totalement vulnérables et désarmées ? D’ailleurs, dans ce même établissement, ce que j’ai vu de la prise en soins des résidents, m’a confortée dans mon analyse.
Dès mon entrée en formation, j’ai envisagé la possibilité d’être confrontée à certaines difficultés spécifiques, dont certaines d’ordre relationnel. Chacun sait que certains individus, indépendamment de leur éducation, leur statut, leur origine ou leur culture, ne sont pas forcément bienveillants, en particulier avec leurs subalternes. Cependant, il me semble que la fonction de soignant fait appel, en plus de solides connaissances techniques, à un certain nombre de qualités intrinsèques, indispensables à la bonne pratique de ce métier. Je pense à la patience, la générosité, l’altruisme, le respect, la tolérance, le goût des autres et la notion d’échange, de partage, au bénéfice de tous et de chacun.
Ce qui m’interpelle, c’est ce constat : sans le soutien, les moyens et les infrastructures adaptées, s’occuper de personnes - âgées ou non - lourdement handicapées, peut être une charge physique et psychologique trop lourde à porter pour les soignants qui par réaction, peuvent devenir maltraitants, non seulement avec les patients dont ils ont la responsabilité, mais également avec tout leur entourage.
Pour ma part, si j’ai choisi de m’engager dans une formation qualifiante d’aide-soignante, c’est dans la perspective de mettre mes qualités humaines, ainsi que mes compétences professionnelles, au service de ceux qui en ont le plus besoin. Et ceci, dans les meilleures conditions d’hygiène et de sécurité possibles, au sein d’établissements en accord avec leur déontologie. Je n’envisage pas de pratiquer mon métier dans un contexte qui ne me permettrait pas de respecter mon éthique personnelle, ainsi que l’intégrité des patients et de tous les acteurs de santé concernés.
En ma qualité d’élève, je suis amenée en permanence à me remettre en question, ce que je fais de bonne grâce, convaincue du bien-fondé de la démarche. Il me semble que, dans l’intérêt de tous, afin de maintenir une qualité optimum des soins, il serait souhaitable qu’il en soit de même pour les soignants, tout au long de leur exercice. C’est, fidèle à moi-même et à mes exigences, ce que je me promets de faire en qualité de soignante.